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La sclérose en plaques et l'enfant

La sclérose en plaques pédiatrique (SPP) a longtemps été considérée comme une curiosité et n'a été prise en considération qu'au début du 21ème siècle. Sa relative rareté fait que, tant pour la communauté neurologique que pour l'industrie pharmaceutique, elle est restée jusqu'à ce jour une facette orpheline de la sclérose en plaques (SEP).

Une première prise de conscience du problème est la publication de Wechsler en 1922 qui passe en revue 73 cas décrits depuis le début du 20ème siècle et publie 12 cas paraissant indiscutables. Il conclut que la SPP est rare, son diagnostic difficile, mais qu'elle existe sans aucun doute. En 1946, Carter présente 79 cas et estime que les SPP représentent près de 10% des patients atteints de SEP. Il constate que la SEP survient rarement entre 10 et 15 ans et est nettement plus fréquente entre 16 et 17 ans. Il suggère que les jeunes enfants sont « protégés » contre la SEP, mais qu'ils perdent cette  protection à l'occasion de modifications du système immunitaire survenant à la puberté.

Puberté, période charnière

Depuis lors, des cas anecdotiques sont régulièrement publiés et font prendre conscience que la SPP est un réel problème. Ces observations montrent qu'elle existe dans tous les pays (même chez les noirs américains), que  les premiers symptômes peuvent se présenter dès la première année et que le diagnostic est difficile du fait que les symptômes, tant radiologiques que cliniques, peuvent être différents de ceux observés chez l'adulte. Ceci explique que le diagnostic de certitude dans SPP n'est en général posé qu'après plusieurs années, alors qu'il n'est pas rare de confirmer le diagnostic de SEP chez l'adulte dans les mois qui suivent la première consultation.

Par définition, la SPP se manifeste avant l'âge de 18 ans. A notre connaissance, le cas le plus jeune (premiers symptômes à l'âge de 13 mois) a été publié au Japon. La prévalence des SPP doit encore être précisée, mais elle semble représenter environ 5%  de la totalité des cas de SEP. Une constatation intéressante est la grande rareté de SPP survenant avant l'âge de 10 ans. Dans ce cas, elle concerne aussi bien les garçons que les filles. Par contre, dans les années qui suivent la puberté, on observe une augmentation progressive de la prépondérance féminine qui rejoint celle de l'adulte vers 18 ans (F/M : 3/1). La puberté est donc une période charnière en ce qui concerne le risque de SPP et son dimorphisme sexuel.

Depuis le milieu du 19ème siècle, l'âge de la puberté a progressivement et régulièrement diminué, particulièrement chez les filles, chez qui l'âge des premières règles (ménarche) est passé de 16 ans en 1850 à 14 ans en 1900 et à 12.5 ans actuellement. Cet abaissement de l'âge de la ménarche expose davantage de filles au risque de développer une SEP et est partiellement responsable de  l'augmentation des cas de SEP chez les femmes observée depuis la fin du 20ème siècle.  

Prédominance féminine

Les causes de ce phénomène sont complexes et font intervenir des facteurs génétiques et environnementaux, notamment alimentaires et toxiques. Le facteur de risque génétique le plus évident est un jeune âge de la ménarche chez la mère. Les facteurs de risque environnementaux sont les mêmes que pour l'adulte : obésité, tabagisme passif, mononucléose infectieuse, hypovitaminose D, etc... Sur le plan alimentaire, nos habitudes actuelles favorisent clairement l'obésité chez les jeunes. Or les tissus graisseux produisent une hormone, la leptine, qui favorise le déclanchement de la puberté. Cette hormone a également des propriétés stimulantes pour le système immunitaire et favorise le développement de la SEP. Chez les filles, la production de leptine ne diminue pas après la puberté et le risque demeure, alors que chez les garçons sa production est arrêtée par le début de sécrétion de testostérone. Cette différence explique en partie la prédominance féminine de la SEP. En ce qui concerne l'hypovitaminose D, il a été démontré que des taux élevés de vitamine D dans la SPP réduisent la fréquence des poussées et l'apparition de lésions actives à l'IRM. La vitamine D pourrait être un traitement peu onéreux et bien toléré. Quant aux facteurs toxiques environnementaux (écotoxicité) deux composés chimiques sont particulièrement visés : le Bisphenol A et les Phthalates. Tous deux entrent dans la fabrication de très nombreux ustensiles qui nous accompagnent dans la vie depuis le biberon jusqu'à la canette de bière. Ces molécules sont des inhibiteurs des hormones sexuelles (endocrine-disrupting chemicals : EDC) dont l'effet néfaste sur le développement de l'enfant, et notamment sur l'apparition de cancers du sein, a été démontré.

Parmi les SPP, il faut distinguer la forme juvénile (avant 10 ans) et la forme adolescente (de 11 à 18 ans). Si la seconde présente plusieurs ressemblances avec la forme adulte, le diagnostic de la forme juvénile est plus difficile du fait que celle-ci partage certain symptômes avec l' « encéphalomyelite aigüe multifocale disséminée » une affection neurologique observée surtout après des vaccinations ou des maladies infectieuses.

Plus de 96% des SPP sont de type à poussées et rémissions suivi d'une phase progressive. Les formes progressives d'emblée sont exceptionnelles. Les poussées sont impressionnantes mais récupèrent rapidement et souvent complètement. Les troubles cognitifs s'observent chez un tiers des SPP et perturbent fréquemment la scolarité. L'aggravation progressive du handicap est plus tardive et plus lente que chez l'adulte mais, malheureusement, ces caractéristiques favorables de la progression ne compensent pas le fait qu'elle commence plus tôt. En fin de compte, les SPP sont handicapées plus précocement que les formes adultes.

Organiser des études cliniques

Il n'existe pas de traitement officiel pour les SPP. Les poussées sont habituellement traitées par la cortisone. Alors que plusieurs traitements sont approuvés chez l'adulte depuis plus de vingt ans, aucune étude clinique contrôlée et randomisée n'a été réalisée à ce jour dans la SPP. Quelques études récentes, non contrôlées, suggèrent que ces traitements ont la même efficacité que chez l'adulte, à savoir qu'ils réduisent la fréquence des poussées d'environ 33% mais qu'ils n'influencent guère la progression du handicap.

Depuis des décennies, des critères cliniques et radiologiques ont été progressivement affinés pour poser le diagnostic de SEP chez l'adulte, mais il s'est avéré qu'ils sont peu performants dans les SPP. En 2006, la « International Multiple Sclerosis Society » a créé le « Groupe d'Etude International de la SEP Pédiatrique » qui comprend plus de 150 chercheurs et dont la banque de données concerne déjà plus de 2 000 cas. Le but est d'avoir une meilleure connaissance, non seulement de la SPP, mais également d'autres affections provoquant des destructions de la myéline dans le système nerveux central et qui peuvent poser des problèmes de diagnostic différentiel ou conduire à la mise en œuvre de traitements spécifiques. Outre la mise au point de critères de diagnostic cliniques et radiologiques spécifiques pour les SPP, un des objectifs majeurs de ce groupe est de faire pression sur les firmes pharmaceutiques pour qu'elles organisent des études cliniques dans des conditions de sécurité optimales et avec des critères d'efficacité spécifiques aux SPP. Elles devraient concerner non seulement les traitements approuvés, mais également de  nouvelles molécules à l'étude dans les formes adultes. Enfin, on peut espérer que les données cliniques, radiologiques et immunologiques qui seront recueillies à un stade particulièrement précoce de la maladie permettront d'approcher de plus près les causes de la SEP.

Prof Dr R.E. Gonsette